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L'émeraude du Nil
2 août 2011

Khâmâît, une petite égyptienne sous Ramsès II

ao_t_002Sur la terrasse de la villa des Enfants royaux, Khâmâît, fille du Pharaon, et le nain Khoumhotpou causaient à voix basse. La conversation devait être grave, mais le chien Pirouît la trouvait trop longue. Il avait fait vingt fois le tour des jouets qui traînaient sur le sol : poupées de terre émaillées, pigeons et canards à roulettes, ménages en miniatures, toupies ou ballons, sans leur trouver le moindre attrait. Maintenant il bâillait…
Enfin un coup de sifflet lui fit dresser la tête. Khnoumhotpou l’appelait ; Khâmâît, l’enfant préférée de Ramsès, se séparait de son confident et, en le quittant, mettait un doigt sur ses lèvres comme pour lui recommander le silence.
Le nain fit le même geste et, suivi de son chien, descendit les trois étages de la villa.
Il traversa les jardins de la cité royale, et il se dirigea par une longue allée de palmiers de Nubie vers les appartements privés du Pharaon.
Il passa devant les magasins, devant la caserne de la garde, devant le pavillon de la reine, et gagna la cour d’honneur. Là, les gardes lydiens, coiffés de leur casque rond, vêtus de la jupe égyptienne, armés de l’épée à double tranchant, étaient en faction près de la porte du palais.
On ne pénétrait pas facilement auprès du Pharaon Ramsès, Fils du Soleil, roi des deux Egypte, mais, comme nul n’ignorait que Khoumhotpou était le favori du maître, les soldats, dont quelques-uns jouaient aux dames, ne se dérangèrent même pas lorsque le petit homme et son compagnon à quatre pattes franchirent le seuil de sa demeure.
Le nain pénétra dans la salle d’honneur, ornée de colonnettes – vide en ce moment – où le Pharaon donnait ses audiences, et où l’on adorait le dieu-roi, passa sous la haute tribune parée de banderoles, où se tenait Ramsès lorsqu’il daignait recevoir ses sujets, et entra dans la chambre principale des appartements privés où des serviteurs s’empressaient à la toilette du Fils du Soleil. Il y avait là les barbiers royaux qui avaient le privilège exclusif de lui raser la barbe et les cheveux ; les coiffeurs qui plaçaient sur sa tête les perruques bleues et la tête de serpent ; les valets chargés chargés de polir ses ongles ; les parfumeurs qui noircissaient ses paupières et passaient sur ses lèvres et ses joues les fards blancs et roses ; puis ceux qui le revêtaient – car ce jour-là Pharaon se proposait d’offrir une sacrifice dans le temple d’Amon – de son costume de cérémonie : la longue robe de toile fine, le tablier tissé d’or et orné d’émaux de couleurs, et les sandales recourbées.
Knoumhotpou se prosterna devant le maître qui lui fit un geste amical, puis se réfugia dans un coin, où il se tint silencieux, tandis que la toilette s’achevait. Bientôt coiffeurs, barbiers, parfumeurs et valets s’inclinèrent à leur tour très profondément et disparurent à la file.
Or Ramsès, ayant d’un signe congédié officiers du palais et serviteurs, et achevé de dicter quelques ordres à un scribe accroupi qui les inscrivait sur un papyrus, Ramsès restait songeur, le front appuyé sur sa main droite.ao_t_003
« Knoumhotpou, dit-il, soudain, explique-moi, si tu le peux, pourquoi le maître de l’Egypte, le plus puissant roi du monde, le dieu, Fils du Soleil, est triste, toujours triste, pourquoi ses nuits ne sont que cauchemars, et ses jours que mélancolie, tandis que toi, l’être chétif et disgracieux, qui ne compte pas plus qu’un grain de poussière, tu as toujours aux lèvres de rire et les chansons.
- Seigneur, dit le nain, rien n’est plus simple. Puis-je vous parler à l’oreille ?
-
Approche-toi.
- Voici pourquoi vous êtes triste : avant-hier, un esclave du palais a dérobé une pastèque qui vous était destinée, l’a mangée, et est mort dans d’atroces souffrances. Pour le remercier de vous avoir épargné ce danger, vous vous proposez, dès que l’heure sera moins chaude, d’aller offrir un sacrifice à Amon, dieu protecteur de Thèbes.
- Est-ce tout ce que tu sais ?
- Non, Seigneur. Je sais encore ceci : lorsqu’il y a deux mois, le Pharaon, votre père glorieux, fut conduit au séjour des morts, là-bas, dans sa pyramide, bien qu’il vous eût choisi pour lui succéder, le bruit courut que des factieux voulaient mettre à votre place, sur le trône d’or…
- Qui donc ?...
-
 On a nommé quelques conspirateurs ; on a désigné plusieurs prétendants, et il n’y eut pas de preuves. Vous n’avez pas voulu punir sans être certain. Vous espériez quelque marque de repentir, lorsque la pastèque empoisonnée est venue vous apprendre que, dans l’ombre, se préparait un drame.
- Ensuite ?
- Ce sont les raisons qui assombrissent votre front. Moi, je n’ai pas d’envieux, nul ne songe à m’empoisonner, je n’ai pas le souci d’être un roi et un dieu. Ce sont les raisons qui font ma gaieté.
- Que raconte-t-on encore dans mon palais ?
- Que votre oncle Nakhiti est parti avant-hier pour chasser le lion, et qu’il sera désolé d’apprendre à son retour qu’un de ses esclaves a dérobé votre pastèque.
-
 Et pourquoi sera-t-il désolé ?
- Je l’ignore, Seigneur.
-
 Tu sais, au contraire, Khnoumhotpou, beaucoup trop de choses… On a vu disparaître parfois des serviteurs du Pharaon pour des motifs moins sérieux. »
- Le sourcil de Ramsès se fronçait durement ; le sourire du nain s’épanouissait au contraire ; et, négligemment, le petit homme grattait la tête de son lévrier.
« Votre Majesté veut-elle me permettre une proposition ?
- Voyons.
- Je gage un collier d’or contre la bastonnade que je ramènerai la joie dans votre cœur, et que je chasserai à jamais vos tristesses.
- Khnoumhotpou, tu seras bâtonné, crois-moi, si j’accepte ton offre.
- Que Votre Seigneurie essaie.
- Que dois-je faire ?
- C’est simple. La princesse Khâmâît voudrait vous montrer le nouveau jeu qui, depuis hier, fait la joie de toute la villa des Enfants. Faites-la venir ici, avant d’aller au temple d’Amon.
- Me prends-tu pour un petit garçon, dit Ramsès irrité, et crois-tu me distraire avec des amusements de bambins ?
- Seigneur, vous avez promis…
- Soit, je serai heureux de passer un instant avec ma fille chérie. Mais, Khnoumhotpou, tu seras bâtonné.
ao_t_001- J’aurai mon collier d’or. Pour m’aider à le gagner, Votre Majesté me fera une grâce : elle autorisera la princesse Khämâît à amener ses cousins Mykerinos, Amerès et Sahouri, fils de Nakhiti… et, lorsque vous les recevrez, la reine, votre auguste épouse, sera seule présente.
- Je t’accorde tout. Mais tu seras bâtonné, Khnoumhotpou. »…
Lorsque Khnoumhotpou entra, suivi de Khâmâît, de Mykerinos, d’Amerès et de Sahouri, Ramsès était assis dans un large fauteuil sculpté et doré, et garni de coussins. Derrière lui se tenait la reine Nofritari, dont les bras ornés du double bracelet d’or s’appuyaient nonchalamment sur le dossier du siège. Sur une tablette, une corbeille de fruits avait été préparée pour les enfants.
Khâmâît, souriante et coquette, ramena sur le côté sa longue natte brune, rajusta l’amulette – une abeille ciselée – qu’elle portait au cou, et vint s’incliner devant son père et sa mère, tandis que ses cousins, suivant la règle inflexible, se prosternaient jusqu’à terre aux pieds du Pharaon. Ramsès et la reine embrassèrent Khâmâît, et firent un signe aux trois fils de Nakhiti. Les trois garçons se relevèrent.
« Les cousins de Khâmâît sont les bienvenus, dit Ramsès. Vous ne sauriez nous être plus agréables qu’en vous amusant ici aussi librement qu’entre vous… Puisque notre fille chérie a eu l’heureuse inspiration de vous amener, nous serons heureux que votre jeunesse et votre vivacité mettent un peu de gaieté dans notre palais. »
Grâce à Khâmâît, les enfants oublièrent bientôt la présence des souverains, près desquels se tenaient Khnoumhotpou et son inséparable ami, Pirouît. Les jeux s’animèrent vite. On joua sans contrainte aux visites, puis aux métiers. Mykerinos était le plus gai de la bande… Il imitait avec des gestes bouffons le cordonnier perçant une sandale au moyen de l’alène, le cliquetis des navettes du tisserand, le barbier rasant son client ; Khâmâît l’excitait ; tout à coup elle s’écria :
« Nous allons jouer au voleur de pastèques…»
Et, en parlant ainsi, elle fit un signe à Knoumhotpou, qui se pencha vers le Pharaon, et lui dit très bas à l’oreille :
« Seigneur, regardez bien. »
Le jeu commence : une rangée de sièges représente la rue qui conduit à la place principale de Thèbes. Cette petite mise en scène s’inspirait évidemment des promenades faites à travers les ruelles tortueuses où les enfants aimaient à s’arrêter en allant au marché, pour regarder les forgerons manœuvrer avec les pieds leurs soufflets, ou le boulanger tenant par les jambes son fils qui, dans le four jusqu’à mi-corps, place les pains tout au fond.
Sur le dernier siège est assise Khâmâît, marchande de légumes et de fruits. Elle attend patiemment le client, et voici justement Mykerinos qui s’approche, suivi de son esclave Sahouri. Mykerinos est sollicité de tous côtés par les marchands de bijoux, d’onguents, de grains, d’outils, de liqueurs, mais c’est devant notre marchande qu’il s’arrête ; il examine, choisit une pastèque qu’il flaire avec soin pour juger de sa qualité. Il se décide enfin à l’acheter et remet en paiement le quart d’un outnou (L’outnou de cuivre pesait 91 grammes et servait de monnaie d’échange) de cuivre à Khâmâît, et la fruitière déclare à Mykerinos que c’est donné, et que « c’est bien parce que c’est lui. »ao_t_004
Mykerinos tend son achat à Sahouri et revient à la villa qu’il habite dans la cité du Pharaon. Là Mykerinos fait signe à Sahouri de s’éloigner, et, pendant qu’il continue à jouer sa petite scène, Khâmâît s’approche doucement et s’assied aux pieds de son père devenu très attentif.
Mykerinos a pris sa pastèque ; avec une lame très mince, près de la tige, il perce un trou, et il verse à l’intérieur une poudre, ou du moins fait le geste. Puis il appelle ses esclaves, Amerès et Sahouri. Il leur ordonne de préparer un panier de fruits magnifiques : dattes, figues, grenades, raisins séchés, parmi lesquels trônera, appétissante et parfumée, la pastèque à chair rose…
« Vous porterez cela, dit-il, dans les cuisines du Pharaon… Seul le Fils du Soleil est digne de ces fruits que son père a mûris. »
Il se fait apporter son arc et sa javeline et annonce qu’il va dans le désert chasser le lion.
Amerès et Sahouri sont restés seuls, et le jeu continue sous le regard anxieux de Ramsès, de Nofritari et Khâmâît. Les deux esclaves ont pris le panier ; ils se préparent à exécuter les ordres de leur maître… Mais comme ces fruits sentent bon ! Comme ils doivent être exquis… Amerès et Sahouri ne peuvent en détacher leurs yeux… Sahouri, le premier, cède à la tentation… Il dérobe une grenade… Mauvais exemple… ! Amerès se dit que Mykerinos chasse le lion, qu’il est parti pour plusieurs jours… Il entame la pastèque… Mais à peine a-t-il porté un morceau à ses lèvres qu’il tombe foudroyé…, mort !...
Ce jeu est fini… Pharaon s’est levé, pâle.
« Que signifie cette scène ? demande-t-il avec une émotion contenue à Mykerinos.
- Elle signifie, je pense, Seigneur, répond l’enfant, qu’Amon, dieu de Thèbes, punit les gens voleurs et gourmands, ainsi qu’on nous l’enseigne, car l’aventure est arrivée hier à un esclave que mon père avait chargé devant nous de vous porter des fruits…, tandis qu’il chasse dans le désert   »
Ramsès resta pensif une seconde…, puis il dit, avec calme :
« Mes enfants, Amon est en effet un dieu juste qui punit les méchants, et l’heure est venue pour moi d’aller à mon temple. Votre jeu m’a plu. Mykerinos, Amerès et Sahouri m’ont charmé par leur intelligence, et je veux qu’avant de regagner la villa des Enfants, tu leur fasses servir, Khnoumhoptou, des gâteaux au miel, des sirops et des citrons confits. Va… »
Et il ajouta, s’adressant à son nain favori :
« Tu auras ton collier d’or, et mieux encore ! »
Lorsque les trois fils de Kakhiti furent sortis, joyeux des friandises qui leur étaient promises, le roi et la reine prirent Khâmâît dans leur bras :
« Enfant que nous chérissons plus que tout au monde, dit Ramsès, tu possèdes un lourd secret… Ton esprit subtil, qui a su deviner le crime dans un jeu innocent et m’en faire juge sans accuser personne, comprendra bientôt que le coupable est puni…, et tu n’en diras rien… Nous avons confiance.
- Je vous aime, » dit simplement la petite fille.
l est maintenant quatre heures… Le Pharaon et la Reine partent pour le temple d’Amon auquel ils vont immoler un taureau…
Le cortège magnifique s’ébranle ; le char du roi et le char de Nofritari s’avancent suivis d’une escorte de princes, de grands dignitaires, de porte-étendards, de porte éventails, de lanciers armés de la pique, de la hache et du bouclier…
Du haut de la terrasse de la maison des Enfants royaux, Khâmâît regarde le défilé. En passant, Ramsès et Nofritari lui ont souri…, et elle suit longtemps des yeux le cortège qui disparaît enfin dans la poussière d’or du soleil qui tombe sur l’horizon.
Longtemps encore elle rêve. Elle se dit qu’elle a fait son devoir, mais elle s’attriste en pensant que Sahouri, Mykerinos et Amerès, ses cousins, ne sauront jamais pourquoi leur père Nakhiti, qui voulait offrir une pastèque au roi, n’est pas revenu de la chasse au lion… Et, sur le sol, gisent abandonnés, poupées de terre émaillées, pigeons et canards à roulettes, toupies et ballons : tous ces jouets ne l’intéressent plus, car on n’est plus une enfant quand on possède un si terrible secret !

Jean CASTINE

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