Les Egyptiens au jardin d'acclimatation
Après les Dahoméens, les Égyptiens se sont emparés du Jardin d'acclimatation. Organisés en caravane, ils campent au milieu d'une oasis installée en face de la cage des girafes et du montoir de l'éléphant. Leur scheik, à barbe blanche comme le vieil Omar, pacha de Négrepont, préside à tous leurs exercices qui consistent à montrer, sur le coup de deux heures, tour à tour, les joies furibondes de la fantasia, l'attaque du douar, le vol des chameaux, les habitudes des femmes qui, l'outre en terre perchée sur le sommet de la tête, s'en vont à l'Oued chercher l'eau nécessaire à la confection du couscouss et aux besoins ménagers, et les soins donnés aux troupeaux, représentés par une vingtaine de brebis et cinq ou six buffles femelles accompagnés de leurs veaux. Puis, après cette mise en scène fort bien réglée, dont le relief empoigne de suite le visiteur, a lieu la représentation d'une vente de femmes par un eunuque. Sur l'ordre de leur maître, elles passent et repassent devant les hommes assemblés qui battent des mains en mesure, avec une précision et un renfort de gestes abracadabrants à faire pâlir de honte et de mâle rage un chef d'orchestre. Et tandis que des discussions s'élèvent, bruyantes et assourdissantes, les esclaves nègres, vêtus de rouge, dansent une bamboula originale et gracieuse dont le principal mérite est de pourvoir être regardée par tout le monde. Deux nègres entre autres veulent une mention. Coiffés de perruques de filasse teinte en noir dont les frisons sont mélangés de perles blanches et noires, ils sont juponnés d'un jupon court tombant des hanches aux genoux, fait de coquilles de moules. Ils accompagnent la danse des esclaves nègres par des sauts rythmés qui leur permettent de faire bruire leurs coquilles de moules, comme un Espagnol ses castagnettes.
Après ces danses, la caravane se forme et défile en file indienne, chef en tête, guerriers, prêtres, femmes de chef en palanquins, hommes à dos de chameaux, femmes à pied, gamins perchés sur des mules blanches, et la marche se referme par quatre gaillards bronzés qui chevauchent lentement sur leurs magnifiques chevaux arabes, le long fusil au poing.
Jean de LIRAC - Article de Septembre 1891