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L'émeraude du Nil
27 février 2007

D'Alexandrie au Caire, 6 décembre1888

Les jardins potagers qui entourent les villes sont d'ordinaires assez prosaïques ; ici, ils s'abritent sous des bosquets de palmiers d'une grâce charmante. Le train glisse au milieu d'une campagne enchantée ; puis il semble voguer sur le miroir du lac Maréotis où se reflètent d'élégants roseaux. Des vols d'oiseaux aquatiques s'enlèvent à notre approche. Un peu plus loin s'étalent des cultures. Des champs de cotonniers baignent encore dans l'eau ; des cannes à sucre élèvent leurs tiges d'un vert foncé à côté du sorgho plus maigre ; des céréales germent déjà du limon laissé par l'inondation. Des buffles noirs se vautrent dans les bas-fonds ou, accouplés au joug, tirent de leur pas lent un araire en bois. Num_riser0007Des centaines de fellahs s'agitent dans cette boue encore molle, pour y préparer les futures moissons ou y récolter les produits déjà mûrs. C'est comme une ruche ou une fourmilière où remuent des légions de travailleurs. Partout où une butte émerge du sol marécageux est installé un village avec ses huttes de boue grise, que surmontent parfois de petites coupoles de fange desséchée. Là dedans grouillent des bandes d'enfants et de femmes, comme grenouilles au bord d'un marais. Des chameaux chargés de balles de coton passent de leur marche cadencée, le long des berges qui longent les canaux d'irrigation. Pas d'arbres, sauf des rangées d'énormes tamaris qui baignent dans les fossés leurs pieds tordus. Rien à l'horizon que le plaine monotone. On dirait une Holllande verdoyante sous un ciel de feu. Les grands canaux qui coupent ces terres basses portent des barques chargées des produits du Delta. Leurs mâts semblent plantés dans l'humus des cultures et, si on ne les voyait remuer, on les croirait figés dans le sol. Parfois pourtant les bateliers recueillent les brises dans leurs voiles triangulaires, étendues comme des ailes de goéland. Le plus souvent ils tirent à la corde, hélant les embarcations avec ce chant monotone par lequel les Orientaux s'encouragent au travail.
Num_riser0006Oh ! les braves gens que ces fellahs ! comme ils se remuent, hommes et femmes, pour retourner cet humus noirâtre que le Nil a déposé ! Bêtes et gens se montrent également laborieux et pacifiques. Le travail adoucit les natures. Ces hommes noirs sont des agneaux qui se laissent tondre depuis soixante siècles. Ici le laboureur recueille bien chaque année ce qu'il a semé ; mais ce n'est pas lui qui en profite.
Depuis le Pharaon de Joseph, il semble que le sol et ses produits appartiennent au prince ou à ses intendants. Quand le bon plaisir est devenu moins absolu, c'est le fisc et les exigences du budget qui on pressuré la gent corvéable. Elle travaille encore aujourd'hui pour satisfaire les créanciers européens de ses pachas. Elle est l'éternelle bête de somme. En est-elle beaucoup plus malheureuse ? Dieu lui a donné un heureux caractère qui lui permet de chanter dans la misère et l'oppression.

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