Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'émeraude du Nil
25 février 2007

Ramlé, 5 décembre 1888

Nous nous promenons au delà de Ramlé, le Saint-Cloud d'alexandrine. Nous avons dépassé les villas fleuries où, sur le bord de la mer, les Alexandrins vont, pendant l'été, chercher l'ombre et la fraîcheur. Nous voici dans un délicieux bois de dattiers, dont les fruits pendent en régimes surchargés, s'arrondissant comme un cordon architectural, au bas de chapiteaux formés par les palmes ; les troncs semblent de superbes colonnes naturelles. Dans les clairières s'étalent des jardins irrigués, verdoyants de feuillages. Des femmes, en longs vêtements bleus, voilées comme des madones, viennent, l'urne sur la tête, puiser de l'eau dans des puits à fleur de terre ; des hommes passent, drapés dans leurs tuniques de couleurs éclatantes, comme pour rappeler des générations pourtant bien lointaines. A la limite de cette oasis un troupeau de chèvres broute ou gambade. Un jeune berger embouche une flûte de roseaux ; à mon grand étonnement il en tire des sons variés qui, par moments, se rapprochent de ceux de la cornemuse. C'est la double tibia des anciens, ou à peu près, instrument classique que ne n'avais pas encore rencontré, même en Italie. Nous écoutons les thèmes mélancoliques du musicien qui s'éloigne sous la feuillée, croyant y deviner un écho de modulations vieilles de vingt siècles. N'est-ce pas là une idylle virgilienne transportée sur le sol de la vieille Afrique ?0zjty836
Voici maintenant une scène biblique. Des tentes sont dressées sur le sable de la côte. Leurs toiles brunes, en poil de chameau, abritent deux familles de nomades qui n'ont pas voulu s'enfermer, comme les fellahs indigènes, sous des huttes de pisé. Des chameaux, à l'entrée, mangent paisiblement leur maigre pitance de paille sèche. Nous approchons ; nous saluons de notre mieux. Les nomades sont plus hospitaliers que les paysans sédentaires qui nous ont regardé passé devant leurs demeures, avec une sorte de défiance silencieuse. Ici on nous fait asseoir, comme l'on peut, sur une petite caisse, puisque nous ne savons pas nous accroupir sur les nattes. Nous contemplons un bien pauvre, mais bien touchant intérieur. Au centre de la tente, dans un berceau à claire-voie suspendu comme un hamac, se balance un nouveau-né. Un autre enfant se presse contre le sein de sa mère. Celle-ci, brune, au type sémitique, noble et régulier, à l'oeil étincelant et doux, ne se voile pas à notre approche comme les femmes des paysans sédentaires. Nous la trouvons occupée à pétrir des galettes de pâte qu'elle étale ensuite sur une planche saupoudrée de farine. Elle les cuira bientôt une à une dans un grand plat couvert qu'elle mettra sur son foyer rustique, formé de trois pierres. Ainsi devait faire Sara pour recevoir ses hôtes.
Sur le devant de la tente, un jeune garçon, remplacé par moments par une vieille femme, tourne rapidement une meule de granit qui glisse horizontalement sur un autre disque ; il broie ainsi les fèves qui serviront au repas de gens et des chameaux. Ceux-ci, bonnes bêtes, très familiers, viennent nous flairer amicalement. Ils semblent avoir compris que nous sommes les hôtes de leurs maîtres. Sommes-nous en Egypte, aux portes d'une grande ville moderne, ou au désert, près d'Ur en Chaldée ?

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
L'émeraude du Nil
Archives
Derniers commentaires
Newsletter
L'émeraude du Nil
Publicité