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L'émeraude du Nil
7 octobre 2009

Abou Simbel : le découpage

Il faut qu'en Août 1966 les deux temples d'Abou Simbel soient entièrement découpés ; les travaux de réédification sur le haut de la colline se prolongeront jusqu'en mai 1970. En juillet-août 1965, la frise des singes qui bordait la partie supérieure du grand portail a été découpée. Sculptés dans le grès de la colline, les singes ont deux mètres de haut ; pendant 3000 ans, ils ont salué sur la façade du temple le lever du soleil à son lever, dès qu'il apparaissait au-dessus des collines situées sur la rive opposée.

Le découpage du grand temple d'Abou Simbel a commencé ; 300 000 tonnes de roches ont été enlevées, la colline dans laquelle était creusé le temple a été écrêtée. Sur la façade, la frise des singes et l'inscription hiéroglyphique qu'elle dominait ont été découpées par blocs. En août dernier, le plafond du sanctuaire a été enlevé et les dieux de l'ombre ont pour la première fois reçu d'en haut la lumière.8137667_p

Les travaux qui se déroulent actuellement à Abou Simbel -les premiers de leur genre dans le monde- n'ont pas d'autre objet que de sauvegarder dans leur intégralité pour les générations futures deux monuments uniques qu'il s'agit de transporter, fragment par fragment, dans le même site, mais à un niveau tel que les eaux emmagasinées par le Haut-Barrage ne puissent jamais les atteindre.

La première étape des travaux, préparatoire, est en voie d'achévement. Il fallait tout d'abord isoler les deux temples de la montagne dans laquelle ils sont creusés, en enlevant toute la masse rocheuse qui les surmonte.

Cela imposait des mesures de précaution très précises : ensablement total des deux façades pour éviter que, dans leur chute possible, des blocs n'endommagent les statues ; installation, à l'intérieur des deux monuments, d'échafaudages pour soutenir les plafonds.

Certes, l'arrivée à Abou Simbel incline à des pensées mélancoliques. Pour qui connaissait Abou Simbel, tout charme est rompu dès l'arrivée. Et la vue des deux façades ensablées, le long cheminement dans le tunnel métallique obscur qui mène à l'intérieur des monuments ou encore le savant enchevêtrement des échafaudages qui remplit les différentes salles ne peuvent modifier cette pénible première impression.

Mais, lorsque la raison finit par l'emporter sur les sentiments, tout s'éclaircit. Le batardeau, constitué de près de 400 000 m3 de matériaux et dont la crête s'élève aujourd'hui à 135 mètres au-dessus du niveau de la mer, est là pour rappeler la menace mortelle qui pesait sur ce site historique de première importance ; s'il ne dressait pas sa masse imposante en avant des deux temples d'Abou Simbel, ceux-ci, depuis l'hiver 1964-1965, auraient déjà été inondés et endommagés, et, peut-être, certains de leurs éléments - les piliers de et les statues colossales qui s'y adossent, plus particulièrement - seraient-ils déjà détruits.

8137687_pD'ores et déjà, le grand temple est isolé de la masse compacte qui l'environnait. Et, en août 1965, le premier plafond, celui du sanctuaire, a été découpé en trois blocs pesant chacun entre 15 et 20 tonnes. Ces blocs ont été soulevés par une grue géante et transportés non loin du site où ils seront, l'an prochain, remis en place. Et l'on s'active à creuser une tranchée en arrière du sanctuaire pour procéder plus aisément au découpage des parois de cette salle et des quatres statues assises qui en sont l'ornement essentiel.

Parallèlement, en façade, d'autres blocs ont été précautionneusement taillés et emmagasinés : tout d'abord ceux qui entourent directement la partie sculptée, la façade-pylône du monument, et qui seront réemployés à la reconstruction, afin que le cadre soit constitué par la roche d'origine; puis ceux de la façade proprement dite : frise des singes, corniche et inscription hiéroglyphique, qui se trouve juste au-dessous de singes. A la fin du mois d'août, on était  arrivé au tore horizontal et l'on envisageait le découpage prochain du sommet de la couronne de la statue colossale assise au sud de la façade.

Au-dessus du petit temple, l'enlèvement de la masse rocheuse a commencé beaucoup plus tard ; on vient tout juste d'atteindre la série de blocs qui sera réutilisée lorsque l'édifice sera reconstitué. Mais, comme ce monument est plus petit que son voisin, il sera plus facilement découpé et, dans un proche avenir, on procèdera, avant même que tous les blocs du grand temple ne soient transportés, au réassemblage des fragments du petit temple sur le terre-plein que l'on est actuellement en train de préparer.

En effet, au fur et à mesure que l'on s'élève de la rive sur le plateau qui domine les temples d'Abou Simbel, on passe par une succession de chantiers. En bas, on taille dans le roc vif ; en haut on nivelle pour asseoir les fondations nouvelles des deux édifices ; non loin de là, des ponts roulants aident à l'emmagasinage des blocs que des camions-remorques amènent plusieurs fois par jour.

Un réseau de routes asphaltées relie entre eux ces différents centres d'activité où l'on s'affaire 24 h sur 24. Ces routes conduisent aussi plus au sud vers un village - presque une bourgade - qui est à peu près entièrement achevé. Les ateliers et les magasins de matériel sont proches des chantiers, comme les installations qui fournissent l'eau et l'électricité. Plus loin s'élèvent les bureaux d'études et les maisons d'habitations (les ingénieurs ont souvent avec eux leur famille - femmes et enfants) autour du mess et du club, où l'on creuse actuellement une piscine ; et l'on a transporté devant ces maisons, simples parallélipipèdes, comme le sont les maisons de style nubien, des masses limoneuses arrachées à la rive quand le lac a atteint son niveau le plus bas et juste avant le début de la crue, pour y planter une végétation arbustive et florale. Enfin, au-delà de l'hôpital, les maisons voûtées des ouvriers cachent la piste où atterrissent les petits avions qui assurent quotidiennement une liaison rapide avec Assouan.

Le plateau désertique qui, jusque-là, était le domaine réservé des scorpions, serpents, des chacals et des hyènes, est maintenant sans cesse animé par le va-et-vient régulier des équipes d'ouvriers, par les camions de transport, par les microbus qui transportent les chefs de chantier et les ingénieurs, ou par les voitures légères qui conduisent les dirigeants de cette énorme entreprise aux points où se déroulent les opérations les plus délicates. Ici, comme ailleurs en Nubie, les oiseaux sont rares ; ils ont fui vers des régions plus verdoyantes. Seuls se sont groupés, sur la bordure occidentale du village, des vautours venus d'on ne sait où.

Sans relâche, pendant les heures torrides de l'été comme pendant les nuits presque glaciales de l'hiver nubien, ingénieurs, chefs de chantier et ouvriers travaillent à sauver des eaux menaçantes les deux sanctuaires d'Abou Simbel. A la fin de 1966, la reconstruction du petit temple sera très avancée et l'on procédera à la remise en place des premiers blocs du grand temple. Et, deux ou trois ans plus tard, les visiteurs d'Abou Simbel auront la surprise et la joie de constater qu'un rêve est devenu réalité : le lac de retenue, après avoir fixé définitivement sa rive occidentale, reflètera à nouveau les façades prestigieuses derrière lesquelles les deux monuments seront reconstruits dans leur intégralité au coeur d'une nouvelle montagne.

A l'époque modernene nous voyons renaître la plus belle des légendes du mythe osirien. On se souvient, en effet, que Seth, jaloux d'Osiris, s'en saisit en l'enfermant par ruse dans un coffre ; et, pour assurer définitivement son pouvoir sur l'Egypte, il tua son frère et le coupa en une vingtaine de morceaux qu'il dispersa dans les eaux du Nil. Isis, l'épouse d'Osiris, descendit alors le cours du fleuve et, recueillant un à un ces morceaux échoués ici où là, finit par reconstituer le corps d'Osiris qui, après avoir subi les rites magiques de l'embaumement, eut juste le temps d'assurer sa succession terrestre en procréant Horus, avant de devenir, dans le monde souterrain, le dieu des morts.

Le Courrier - Une fenêtre ouverte sur le monde - Unesco - Novembre 1965

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