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L'émeraude du Nil
20 février 2007

Alexandrie, 3 décembre 1888

Voilà bien les populations que nous étions venu chercher ; elles étonnent même les voyageurs qui ont vu l'Africain d'Algérie. Moins de noblesse pourtant, moins de finesse aristocratique que chez l'Arabe. Teints bistrés, traits empâtés, regards très caressants qui recèlent des étincelles ; costumes bariolés, races mêlées qu'on devine cosmopolites, tout est bien  nouveau, saisissant. On regarde de tous ses yeux, on écoute, sans se lasser, l'entrecroisement de plusieurs idiomes. Mais Alexandrie elle-même ? Y sommes-nous vraiment ? Est-elle bien ce que nous avions espéré d'elle ? Un peu de désenchantement ne se mêle-t-il pas déjà à nos premières surprises ? La ville est trop moderne, trop occidentale, surtout depuis qu'un incendie, compliqué de bombardement, a forcé de rebâtir plusieurs quartiers. Il y a bien une ville indigène, mais d'un caractère effacé. Sa position seule intéresse, parce qu'elle est assise sur l'isthme par lequel Alexandre a réuni l'île de Pharos au continent.
C'est cette île qu'on aime à visiter, avec les restes du phare célèbre qui la domine encore et dont le nom est devenu générique pour désigner désormais les feux sur lesquels se guident les navigateurs. L'aiguille de Cléopâtre -bel obélisque- a été déménagée en Angleterre ; mais ce que les étrangers n'ont pu emporter, ni les indigènes détruire, ce sont les deux ports antiques que voici, resplendissants toujours sous la lumière orientale. On essaie, sans trop y réussir, de se figurer l'emplacement de la ville des Ptolémées, des grandes artères qui la traversaient, des jardins qui l'embellissaient, des monuments publics qui la décoraient. L'évocation de ce passé, quoique laborieuse et imparfaite, console un peu de vulgarités inséparables d'une ville de marchands qui essaie de copier Marseille. Mais ces vulgarités, les aurait-on remarquées, si l'on n'était entré ici avec une imagination surchauffée par trop de rêves orientaux ? En réalité n'est-ce pas aux richesses créées par le négoce qu'Alexandrie a dû une bonne part de son lustre et de sa splendeur ? N'est-ce pas son commerce et sa marine qui l'ont ornée des quatre mille palais, des centaines de cirques et de places, des nombreux jardins que les Arabes y trouvèrent encore ?
Entre le règne des Ptolémées et celui des musulmans, que de phases vraiment brillantes et dont l'histoire émerveille le penseur : Que de contraste dans la vie de ce peuple, depuis la mollesse prodigue des Antoine et des Cléopâtre, jusqu'aux subtilités philosophiques des écoles d'Alexandrie, jusqu'aux ardeurs du zèle religieux, par lequel le christianisme y supplanta définitivement les faux dieux ! La conquête arabe y donna le signal de la décadence ; mais c'est la nomination turque qui a fait tomber, pour un temps, la noble cité à l'état misérable d'une bourgade de 6000 âmes ! L'expédition française vint lui rapporter l'étincelle du réveil. Méhémet-Ali lui rendit la vie. Aussi les deux cent mille habitants qu'il y a ramenés lui ont-ils érigés une statue équestre sur une place publique. Peut-on citer ailleurs un prince musulman qui ait été assez affranchi des préjugés de sa secte pour qu'une telle distinction ait pu lui être décernée, sans trop étonner le chrétien, si scandaliser le musulman ?

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